Avec ou sans nous

 

Que les croyants éprouvent de la nostalgie pour la chrétienté, rien de plus normal. Mais qu’un nombre croissant d’incroyants se déclare favorable au retour en grâce de la religion catholique, pour remédier au chaos des mœurs et contribuer à la gestion de la société civile, voilà une aberration qui ne manque pas de sel. C’est un merveilleux symptôme de débâcle, l’aveu à peine dissimulé d’une complète faillite intellectuelle.

En imaginant que la cité de Dieu pourrait servir la cité terrestre, et non l’inverse, ces gens ont le même problème que Nietzsche – sans le génie, bien sûr. Le problème de Nietzsche n’est pas d’avoir craché sur la religion du Christ, c’est d’en avoir fait l’éloge. Il ne s’est pas trompé sur ce qu’il condamnait, il s’est trompé sur ce qu’il estimait. Lorsqu’il écrivit que le christianisme est une « pulsion pure et désintéressée vers la culture », « vers l’engendrement toujours renouvelé du saint », celui qui se présentait comme le dernier grand interprétateur a commis une fatale erreur d’interprétation. Il négligea distraitement une vétille, oh presque rien : le christianisme est d’abord et avant tout la transmission d’une révélation, celle de la Vérité et de l’unique voie du salut.

Que cette révélation surnaturelle produise de la culture ou qu’elle n’en produise pas, qu’elle engendre des saints ou qu’elle n’en engendre pas, elle continue d’exister, parce que la Vérité qu’elle révèle est de toute éternité. Et elle EST – intacte et à jamais – au-dessus des contingences, indépendamment des pathologies, de l’hypocrisie, de la médiocrité qui frappent ses représentants.

C’est parce qu’il a mesuré la valeur du christianisme à cet autre but (enrichir une civilisation, donner naissance à un type d’hommes supérieur) – but non pas faux, mais SECONDAIRE – que Nietzsche a fini par voir en lui l’origine de tous les maux. L’entreprise chrétienne ayant apparemment échoué, il en a déduit qu’elle n’était pas viable. Or le Christ est la Vie, et il n’y a pas d’échec pour Dieu : tout concourt à la Rédemption, irrésistiblement, de gré ou de force, avec nous, ou sans nous.