Compendium

Petit précis d’histoire universelle

Un jour, un beau jour, après bien des années,
années de monopoles, de masses critiques.
Sévères années de castration, sans oubli ni pardon.
Après de longues années de bouche à bouche avec l’ignoble,
années de murs haineux barbelés de vertus,
années de cris, de crampes dans les culs-de-basse-fosse de la modernité.

Dans les funiculaires, dans les correspondances de la modernité
qui ne menaient nulle part mais qui y menaient vite.
Années des hommes en pot qui nous regardaient de haut,
qui nous disaient prenez donc un ticket,
attendez votre tour, mais notre tour de quoi,
jamais ne sûmes, jamais ne fûmes mis au parfum.
Années des fourrures de chiffres portées par des squelettes.
Années des attentats fantômes, de la Terreur en multiplex.
Des ombres attaquant des reflets de miroirs
avec un synchronisme parfait au démarrage.
Années de la Connaissance et de la Foi faisant chambre à part.
Années des troïkas et des traités d’aéroport.
Années des rois bouffons tenus en laisse par la mafia,
par les fonds monétaires de l’infamie.
Années où se terrait la soif de tous les serfs sans terre.
Les serfs aux mains tranchées par les machines à sous.
Et dans les cieux s’éternisaient les crépuscules sous anxiolytiques
pour taxis-jets de l’hyperclasse. Ô rots de grande race, ô pets classieux,
à 30 000 pieds au-dessus des gueux.


L’Album des Chroniques raconte : Tandis que
l’Empereur paraplégique régnant sur l’Occident avec les escadrons de la fatigue, avec les ravitaillements de l’usure et du dégoût, poussait ses derniers chars jusqu’en la chair humaine, de Rio à Tokyo, des avocats fameux, parfumés de Givenchy, inculpaient la vigueur des volcans…


Années où tout cauchemar 
avait sa blouse blanche, toute ineptie son Prix Nobel.
Et la Roue de la Fortune était carrée. Et le savant humiliait le jaguar avec un thermomètre.
Et l’homme battait des records, l’homme faisait le tour de son être en moins d’une seconde.
Et l’on en vit beaucoup sortir d’eux-mêmes comme d’un piège à rats,
ou s’arracher la peau comme on jette une fripe aux ordures,
et leurs femelles n’en voulaient pas non plus
et chacun de se tourner le dos, capuchonné de rancune.
Années où la terre fut blâmée d’être en bas, où le ciel eut procès d’être en haut,
où l’on fit honte au feu parce qu’il brûle.


… La Banque endettait le désert innombrable
au nom des comités de Perdition Publique et des clubs humanitaires néo-progressistes et des faux intellectuels français bien coiffés, bon chic bon genre, au demeurant petits bourgeois gentiment partouzards. Stratégie payante : souventes fois, les pipe-line de sang explosèrent les quotas… 


Après des années de Passé Intégré
où l’on interdit le don, où l’on taxa l’esprit,
cota en bourse les caresses, cureta au chalumeau les entrailles de la miséricorde.


…si la spéculation sur les sépulcres était l’objet de vifs débats, 
chacun n’en cherchait pas moins sa fosse, quêtant les preuves d’un sien aïeul écorché dit-on ou putativement empalé à quelque antique époque. On vit des stéthoscopes aux portes des caveaux, des détectives racler à qui mieux mieux au fond de vieux ossuaires, maintes tribus dresser le compte des plaies pour Hollywood, produits dérivés, bibelots, fétiches, confitures…


Après des années de nuit,
le jour enfin tomba à pic. Ce beau jour, ce jour horrible comme un pic.
On croyait qu’il n’arriverait jamais, mais il vint, et le monde dit assez car trop c’est trop.
Je vous le dis, ce jour-là, le monde fut de trop pour le monde.
Les cartomanciennes mangèrent leurs cartes,
les astrologues ravalèrent leurs filles dedans leur utérus,
les saisons prirent les jambes à leur cou, les montagnes disparurent,
les forêts optèrent pour l’incendie, hors de leur lit s’en furent
ruisseaux, rivières et fleuves, bras dessus bras dessous,
titubant nus comme des ivrognes, comme des prophètes analphabètes
dans un film de Werner Herzog. Et ils vomirent leurs tripes
dans le fier, dans le grand, dans le pauvre océan
qui avait déjà sa dose. Et le soleil se mit un sac sur la tête,
la lionne et la gazelle se figèrent dans leur course,
le requin cessa de nager, préférant couler.
Et le Temps fut secoué de coliques, de Très Sainte Chiasse,
les heures filèrent à toute allure, la vie se fit toute petite
sous les coups qui l’accablaient, la vie harcelée par la race mortelle
des morts trop nombreux, par la race maudite, des charitables sans amour,
des religieux non spirituels, des spirituels sans religion, tous sicaires du non-sens.

Voilà ce qui arriva un jour. Un beau jour, un jour horrible.
Un jour horrible et beau à la fois.