Douce est la Vérité !

 

 

Plutarque rapporte une singulière coutume des anciens Égyptiens. Lors de la fête du dieu Thot, les bras chargés de miel, de figues bien mûres et de petits gâteaux sucrés, ils allaient visiter leurs amis et leurs offraient ces friandises en disant : Douce est la Vérité !

L’écrivain grec ne précise pas s’il s’agissait d’un rituel inventé de toutes pièces ou d’une vieille tradition, étayée par de nombreuses coutumes similaires. Selon toute vraisemblance, cet usage naquit après les grands fléaux qui avaient ravagé leur Royaume, c’est-à-dire après que les Égyptiens eussent fréquenté ce petit peuple d’esclaves impossible, aussi hargneux que faible, dont la sujétion avait signé leur propre perte. Avoir été défaits par les insignifiants Hébreux était une humiliation, et ils en avaient sans doute conçu une immense amertume. Leurs innombrables divinités n’avaient rien pu faire quand l’eau du Nil s’était changée en sang, quand les sauterelles, les grenouilles, les mouches et les moustiques avaient obscurci le ciel, quand les troupeaux avaient été décimés, quand les furoncles avaient couvert leur peau, quand un déluge de grêle avait fondu sur leur tête, et quand, horreur des horreurs, tous les premiers-nés avaient péri. Depuis cette série de catastrophes, plus rien n’allait comme avant. Les dieux et les déesses qu’ils avaient adorés et servis durant 3000 ans s’étaient tus, impotents et muets comme la pierre des pyramides.

Douce est la Vérité ! Il me plaît d’imaginer qu’on prononçait la formule à voix basse, presque en chuchotant, en se tenant immobile sur le seuil, le dos légèrement voûté, moins dans le but de conjurer la malédiction qui s’était abattue sur la gloire de Thèbes et de Memphis, qu’en signe d’humilité et d’étonnement, pour commémorer un mystère plus grand que toute grandeur terrestre.

Douce est la Vérité ! La formule a tout d’une ironie ; il s’en faut de beaucoup que la vérité ait jamais été une friandise pour quiconque ! Mais elle pourrait aussi signifier le contraire de l’ironie, sa fin, et le pressentiment que les cruels sarcasmes du fort finissent toujours par se retourner contre lui. Nous autres occidentaux, fils d’une modernité d’à peine de trois siècles, nous connaissons aujourd’hui quelque chose d’analogue, des plaies et des fléaux ravageant un empire qui s’est cru éternel. Et c’est pourquoi je vous invite à reprendre la formule égyptienne avec moi, et d’aller à la rencontre de vos proches en la prononçant avec humilité, avec étonnement, sans oublier d’y mettre un humour subtil, une ironie sans rancœur, cet humour humble et tremblant qui vient aux civilisations idolâtres, quand elles tombent.