La conscience est une bête sauvage




Qui sait qu’une conscience 
est une bête sauvage,
U
ne portée de jeunes loups, un léopard des neiges menacé d’extinction?
Qui sait qu’elle est un tigre en bas âge évadé du cirque,
D
ont les crocs déchirent avec innocence ?
Mais il n’y a plus de place pour elle, car ils ne veulent plus rien de pur, de sain,
De réflexif ou de simplement même fugitivement personnel,
D
ans leurs rues pavées de demi-mensonges, de demi-vérités,
Plus rien qui n’élude l’abomination tranquille
De la vulgarité conforme et du désespoir domestiqué,
Plus rien qui ne réchappe du consentement à l’erreur collective
D
e croire échapper au Jugement, en cet empire sans foi ni raison
O
ù les rabatteurs, tout le jour, prétextant leur bien,
Traquent les derniers de sa race.
Quand la nuit tombe, et qu’ils ne l’ont pas trouvé,
A l’oreille du don félin (et féroce, je vous dis), je murmure :
S
i j’ai chaud, ne me laisse pas prétendre que j’ai froid,
S
i je suis lâche, me raconter que je suis victime des circonstances,
Q
ue j’aurais pu être un brave dans un monde à mon goût,
H
éroïque ou martyr sans verser une goutte de sang.
Fais plutôt que j’embrasse ma lâcheté toute entière,
E
t que j’inhale la honte et l’humiliation de craindre encore
N
on pas la douleur mais la solitude, le tourment, l’attente,
L
e silence qui tombera sur le témoignage honnête, fougueux certes
E
t cependant pauvretbalbutié de justesse, à bien des égards
A
nachronique et dérisoire (Ô tempo rare, Ô mauresque
Que n’ai-je appris mon Cicéron
Quand j’avais l’âge encore ou presque, etc…).
Fais que je sente à fond cette morsure dans la viande rouge de l’âme déchue,
Dans la fauve insomnie du cœur et dans sa chair.


Qui sait qu’une conscience claire et sans repos est bénédiction, est grâce,
E
st spirituelle aumône faite à l’argile d’être homme, est
-oh oh, avec quelle sauvagerie -, jeune tigre
Qui s’amuse à griffer?  Griffant, mordant, s’amusant ?
Tout le jour, ils t’ont cherché, appelé, pour t’attraper dans leurs filets,
Pour te museler de cuir, de fer, et châtrer ta bonté,
Mais, grâce à Dieu, mon Dieu, tu es encore là.