Le maître infaillible

par Leonardo Castellani

“El maesto infailible”

Extrait de Cristo ¿vuelve o no vuelve? 1951.

 

 

Dans le siècle qui vit le naufrage de la certitude, la Providence de Dieu a posé la définition du Magistère infaillible. Pour les temps périlleux, quand les nuages de papier imprimé faisaient pleuvoir des erreurs sur la Terre assoiffée de Dieu ; lorsque, la foi de beaucoup s’étant refroidie, la raison même s’est retrouvée diminuée ; pour le siècle érudit qui, sachant tant de choses, oubliait la seule nécessaire ; comme remède et comme défi au monde fou, dilettante, sophiste et présomptueux, le Concile du Vatican a défini ce que l’Église avait toujours cru implicitement et pratiquement. A savoir : que dans la société surnaturelle et visible fondée par le Christ en guise de pilier et de fondement de la Vérité, il existe une tête investie de la suprême et triple puissance d’empire, de ministère et de magistère ; et que, dans l’exercice de cette puissance magistrale, lorsqu’elle parle ex cathedra, cette tête qui tient la place du Christ ne peut pas se tromper.

Aux grands maux, les grands remèdes. A l’effondrement de la raison, le miracle de l’infaillibilité.

“Sache-le bien : dans les derniers jours surviendront des moments difficiles. En effet, les gens seront égoïstes, cupides, fanfarons, orgueilleux, blasphémateurs, révoltés contre leurs parents, ingrats, sacrilèges, sans cœur, implacables, médisants, incapables de se maîtriser, intraitables, ennemis du bien, traîtres, emportés, aveuglés par l’orgueil, amis du plaisir plutôt que de Dieu ; ils auront des apparences de piété, mais rejetteront ce qui fait sa force. Détourne-toi aussi de ces gens-là ![1] (…) Car un temps viendra où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine, mais au gré de leurs désirs se donneront une foule de maîtres, l’oreille leur démangeant, et ils détourneront l’oreille de la vérité pour se tourner vers les fables[2].”

Tous les dogmes de l’Église sont terriblement d’actualité. « Quand je veux connaître les dernières nouvelles – disait Léon Bloy – je lis l’Apocalypse »[3]. En cette année où nous célébrons les noces d’or sacerdotales du Pape Roi, celui qui veut savoir s’il est d’actualité de parler ici de l’infaillibilité du magistère solennel de l’Église peut regarder un instant à l’extérieur : il prendra peur, connaîtra la compassion et le vertige. Il peut jeter un œil par la fenêtre sur la vie intellectuelle contemporaine, pour voir si dans le lugubre tourbillon de la raison sans foi, de la raison apostate, il ne trouve pas quelque chose de similaire à ce que Paul décrivit avec tant de force à Timothée. Temps périlleux. Maîtres pareils à des nuages sans eau, ouverts à tous vents de doctrine. Naufrage de la philosophie apostate. Suprême corruption de l’art apostat. Naufrage de la certitude sur les choses les plus nécessaires.

Un coup d’oeil par la fenêtre suffit. Je n’ai pas besoin de résumer le tableau de l’angoisse contemporaine déjà brossé par une plume intelligente[4], ni de prendre à témoin Maritain, Chesterton, Belloc, Bourget, Claudel, Harlaire et Papini. Il n’y à qu’à écouter ce que disent sur Dieu et sur son Christ, sur l’Église et sur son chef, sur l’homme, sur son âme et sur sa fin, les maîtres infaillibles de La Prensa, de Nosotros, du Mercure de France – ou plutôt, ce qu’ils ne disent pas ; et il est inutile de descendre jusqu’à l’infecte crapulerie des autres torchons journalistiques. Art, art, art ; littérature, littérature ; la science, la science et la civilisation ; un sage dit, un autre le dédit ; histoire, politique, critique, musique, roman, morale, philosophie et, pourquoi pas théologie aussi, écrite le mieux du monde par les plus belles signatures des cinq continents. Maintenant, grâce à Keyserling[5], nous saurons toutes les choses. Car, bien sûr, l’homme nous a parlé de toutes les choses qu’on peut savoir, et même de quelques autres[6].

Je ne dis pas que ce ragoût mirandolesque que Gutenberg sert à bon marché à tous les lecteurs drogués que nous sommes – car nous sommes tous les enfants de ce siècle à lunettes – ne peut être digéré par l’alliance du sens commun, d’une culture ferme et d’une habitude de méditation bien enracinée, sous l’étoile de la foi, surtout ; je ne dis pas qu’« un ermite qui lit les journaux et qui connaît l’heure des trains », comme on a appelé Maritain, n’a aucun moyen de l’assimiler ; mais tout ce savoir livresque, avalé en quantités faramineuses par le bachelier omniscient et l’universitaire laïque, a produit une redoutable maladie de l’intelligence, appelée dilettantisme. Faim de connaissance sans étude ; liquéfaction de l’esprit ; répugnance à toute attitude mentale énergique ; culte idolâtre de la forme, de l’élégance, de l’ingéniosité, de l’exquisité ; prurit sensoriel de nouveautés, désespoir de la vérité ; et venant compliquer l’ensemble de ces éléments du scepticisme de tous les temps, une orgueilleuse volupté de destruction, qui n’appartient qu’au nôtre. « J’ai la volupté de l’analyse destructrice ; j’ai dit qu’en me comprenant, je me détruisais ; mais à me détruire ainsi… je goûte un suprême plaisir, quelque chose comme le plaisir d’éparpiller des perles dans la mer à pleines poignées … Volupté merveilleuse parce que mêlée de mort »[7] – c’est ce qu’écrivait avec sa clairvoyance coutumière Jacques Rivière, ce fils malade de Barrés et de Gide, cas clinique de cette affection et de sa guérison par le seul remède qui soit, la foi de l’Église infaillible.

Le dilettantisme est toujours une maladie ; mais, parfois, il est aussi – chez Renan, chez France, chez Gide – un crime, une perversion profonde, qui figure dans le Catéchisme parmi les péchés contre le Saint-Esprit. Le sophiste païen renonçait à la vérité, le sophiste moderne l’abhorre ; pour quelle raison ? Parce qu’entre les deux la Vérité est descendue sur terre, s’est faite chair ; depuis lors, il faut être avec elle ou contre elle. Le péché de Gorgias contre la vérité est péché de désespoir ; mais le péché de Voltaire contre la vérité est de haine. Bourget, poète-psychologue, a disséqué jusqu’à la moelle la maladie du dilettantisme avec un scalpel implacable ; dans Le Disciple, Cosmopolis, Essais de Psychologie Contemporaine, il a mis à nu cette luxure intellectuelle qui fait passer de moyen à fin le plaisir de l’entendement dans ses opérations, et qui profane la Vérité – sa Finalité suprême et sa Reine – en la transformant en catin. Claudel, poète-théologien, a exécré ce crime avec une véhémence biblique. Tous les deux bons chirurgiens, bien poignardés depuis. « Mais l’homme porte en lui l’horreur de ce qui n’est pas l’Absolu, et pour rompre le cercle affreux de la Vanité, tu n’hésitas point, Bouddha, à embrasser le Néant. Car, comme au lieu d’expliquer toute chose par sa fin extérieure il en cherchait en elle-même le principe intrinsèque, il ne trouva que le Néant, et sa doctrine enseigna la communion monstrueuse. La méthode est que le Sage, ayant fait évanouir successivement de son esprit l’idée de la forme, et de l’espace pur, et l’idée même de l’idée, arrive enfin au Néant, et, ensuite, entre dans le Nirvana. Et les gens se sont étonnés de ce mot. Pour moi j’y trouve à l’idée de Néant ajoutée celle de jouissance. Et c’est là le mystère dernier et Satanique, le silence de la créature retranchée dans son refus intégral, la quiétude incestueuse de l’âme assise sur sa différence essentielle », dit le grand poète français dans Connaissance de l’Est.

Et dans le poème dramatique Le repos du septième jour :

“LE DÉMON. — Ces âmes grossières ont péché dans l’ignorance, et c’est

pourquoi il n’y a pas ici de lumière.

Comme un chien sur du lard, ils se sont jetés sur l’appât et le croc leur

traverse l’estomac.

La cause de cet appétit des sens, je te l’ai expliquée, et cette main qui prend.

Mais un esprit a été aussi donné à l’homme et avec l’œil qui voit une intelligence ;

et comme il prend, il comprend.

Souviens-toi de ce que je t’ai enseigné : L’homme,

Faisant de lui-même sa fin, moins il se peut satisfaire,

Plus serré il s’attachera à ses causes, à la cause par laquelle il existe en tant

qu’homme, et celui-ci entre les autres.

Telle est l’opération de l’instinct ; mais l’intelligence est en l’homme, pour que,

par son moyen,

Comprenant ce qu’il fait, il approuve et consente, connaissant davantage,

mieux.

À la fin finie, infinie, elle applique la cause infinie ;

Le sens connaît son assouvissement, mais l’avare esprit a toujours faim.

Et comme c’est par la matière que l’homme est homme, c’est à elle qu’il s’attache.

Du roc primordial ils habitent l’épaisseur et la matière.

Ici commence l’Antiscience, ici la Clarté noire paraît !

 

L’EMPEREUR. — Ne pourrai-je les voir et leur parler ?

 

LE DÉMON. — Tu ne peux pénétrer dans le lieu dur où ils sont.

Comme les oursins dans leur carapace, comme les coraux qui occupent leur

propre pierre,

Du roc primordial ils habitent l’épaisseur et la masse,

Ils sont la moelle des os de l’Enfer, et l’Enfer dans son os leur fait place,

Dans sa base et sa construction.

De toutes les choses qui existent par le poids, le nombre et la mesure,

Ils ont étudié les lois, les rapports et les propriétés,

Et niant qu’ils fussent distincts de la matière où ils adhéraient, possesseurs de

la science aride, c’est ainsi qu’ils se sont joints à la pierre.

Ce petit trou qu’ils se sont creusé et dont leur corps est la mesure est la chose

qu’ils savent ;

Et là pour l’éternité ils cuisent.

Et la double considération de leur cœur leur est attribuée ;

Car ils ont aimé la matière et voici qu’ils sont placés à même ;

Ils se sont adorés eux-mêmes, et repliés, les membres ramenés et collés au corps,

comme les feuilles dans le bourgeon, comme l’enfant rond dans le ventre de sa mère,

Eux-mêmes, ils possèdent leur chair avec leur âme.

Et la lumière qu’ils ont cherchée ne leur est point refusée ; la voici qui point

comme une aube !”

Et enfin, dans le Magnificat, cette monumentale symphonie pour orgue écrite à Tien Sin, le grand chrétien s’exclame :

“Vous avez mis dans mon cœur l’horreur de la mort, mon âme n’a point tolérance de la mort !

Savants, épicuriens, maîtres du noviciat de l’Enfer, praticiens de l’Introduction au Néant,

Brahmanes, bonzes, philosophes, tes conseils, Egypte, vos conseils,

Vos méthodes, vos démonstrations et votre discipline,

Rien ne me réconcilie, je vis dans votre nuit abominable, je lève mes mains dans le désespoir, je lève mes mains dans la transe et le transport de l’espérance sauvage et sourde !

Qui ne croit plus en Dieu, il ne croit plus en l’Etre, et qui hait l’Etre, il hait sa propre existence.

Seigneur, je vous ai trouvé…”

Paroles fortes, peut-être apocalyptiques. C’est que pour parler fortement du cancer, il n’y a rien de tel que d’avoir vu le cancer, d’avoir essayé de le soigner et, pire encore, d’avoir souffert d’un cancer. Tant mieux si beaucoup trouvent cela exagéré ; mais nous savons que ce monde de ténèbres angoissées – décrit de façon si poignante par André Harlaire dans son livre En Croix – existe réellement en dehors de la vraie foi, et qu’il n’est pas une simple fantasmagorie.

J’ai abordé l’un des maux de l’intelligence. Le dilettantisme n’est pas proprement l’erreur, qui est le plus grand mal de l’intelligence et donc de l’homme. C’est une maladie qui prédispose à l’erreur, et chez les pontifes du dilettantisme, tels Renan et France, c’est le bouclier derrière lequel se dissimule l’erreur délibérée. Mais ce mal seul est si dommageable et si grand que si, par malheur, il n’existait pas de maître infaillible, nous devrions prier Dieu pour qui l’invente.

Et la prière pourrait être la suivante :

Créateur de toutes choses, si tu ne veux pas que l’homme soit la plus misérable de tes créatures, donne-nous un maître infaillible jusqu’à la fin du monde.

 S’il n’y a vraiment aucun moyen pour tous d’arriver à la certitude en répondant à la première question de l’enfant : Pourquoi ?, comme à la dernière du philosophe, qui culmine au sommet de la spéculation : Pour quoi ?, l’homme est une pauvre chose absurde, maudite et féroce. Parce que chaque fois que l’homme perd la foi, Seigneur, il perd la loi, et nous avons vu et nous savons qu’une société d’hommes sans loi est pire qu’une tanière de tigres.

La raison seule, Seigneur, que tu nous as donnée, ne suffit pas à nous sauver ! La raison errante et fragile, éphémère, oublieuse, liée à la chair, rebelle, capricieuse, instable, petite, comme un feu infatué brillant sur un marécage ! Bien que de lignée divine, une chute ancienne l’a gravement blessée et l’a enchaînée au sensible, comme Platon le soupçonnait. Reine malade, elle commande aux choses visibles et pourtant elle est trompée par elles. Les plaisirs la bercent, les diversions l’assoupissent, son orgueil l’aveugle, sa présomption la pousse, sa mesquinerie la fait trembler et sa noblesse l’exalte. Les sens, ses esclaves fous, lui font bruit et poussière, et ne la laissent pas travailler tranquille. Les appétits, ses serviteurs rebelles, la troublent, l’empêtrent et la raidissent. Elle a besoin d’un tuteur, d’un défenseur et d’un docteur.

Constatant ses avanies, un Bonald[8] s’est tout à fait défiée d’elle, mais il n’est pas vrai que la raison soit impuissante à atteindre les vérités invisibles ; elle n’est pas mortellement blessée, et ce n’est pas une chose radicalement inutile. Nous voyons comment elle relie les continents, met la foudre en bouteille, mesure les étoiles, navigue sur les mers et chevauche les quatre éléments ; comment elle vole avec Platon et Aristote, comment elle trouve en son sein les Dix Préceptes, comment elle parvient seule à prouver l’existence de son Principe et sa propre Immortalité. Mais, Seigneur, tu es plus haut que les étoiles.

Mais, Seigneur, si tu la laisses seule, combien peu, combien tard, combien douteusement les cris de famine parviendront avec elle jusqu’à Toi au-dessus des étoiles ! Car jusqu’à Toi, nul télescope et nul avion ne parvient.

Combien peu parviendront ! Car de ta très haute connaissance et de ton amour suprême, un très grand nombre sera certainement exclu par l’un ou l’autre de ces trois écueils : l’infirmité corporelle, la nécessité corporelle, la paresse corporelle. Car notre raison est coincée dans cette statue de boue. En ce corrompant, le corps paralyse l’âme. A tel point que certains sont privés toute leur vie de l’usage de leur raison, et que d’autres en ont un usage si limité qu’une fois adultes ils restent comme de grands enfants.

Le philosophe, comme le poète, a besoin d’une gymnastique cruelle. Pythagore imposait à ses disciples le silence pendant deux ans, et une ascèse rigide, pour aiguiser le fil de leur esprit, jusqu’à ce qu’ils puissent voir les anges, les essences, les Nombres invisibles, causes de tout. Combien peu nombreux, mon Dieu, ceux qui briseront ce triple filet !

Mais ces quelques personnes, comme elles arriveront tard ! Autant par les yeux que du bout des doigts, l’enfance emmagasine des grappes de sensations tout en jouant ; et la jeunesse impétueuse et turbulente a d’autres chats à fouetter que les syllogismes, quand le sang pétille et s’épanouit en elle comme du jus de raisin ; et il faut encore du temps jusqu’à ce que les coups de l’expérience et de la maturité, le reposant, commencent à le clarifier. Mais la science des causes finales culmine au-dessus de toutes les sciences, comme une montagne posée sur une cordillère ; et la connaissance de Dieu, Cause des Causes, est le sommet même de cette montagne, le pic accidenté, gelé, blanc de neige, endormi parmi les nuages et les étoiles.

Combien d’alpinisme avant d’être apte à l’assaillir, quel chemin pour y arriver et l’escalader !

Et finalement, ces rares héros anciens – pour peu qu’ils soient parvenus avec plénitude et sérénité en ton Sein – y parviennent pour redescendre nous enseigner. Mais voici que l’erreur et le doute se sont subtilement glissés dans les tablettes de pierre que nous ont rapportées Platon et Aristote. Et cela, à cause de la faiblesse de notre entendement, le dernier dans l’échelle des êtres immatériels, et pour lequel la plus intelligible des choses, Dieu, est comme la plus visible de toutes, le soleil, pour les yeux de la chauve-souris[9]. A cause de la confusion, du caprice et des limites propres aux fantasmes de l’imagination, avec lesquels l’esprit doit se battre dans son dur labeur. A cause de la divergence des maîtres, qui, utilisant un instrument encore plus restreint, le langage, échouent à démontrer avec évidence et s’empêtrent les uns les autres dans des querelles de mots qui, ruinant leur autorité, finissent par semer le doute.

Seigneur, je ne parle pas de la raison théorique telle qu’elle est sortie de vos mains ; elle est droite et son objet est la Vérité ; je te parle de la raison historique de l’homme déchu tel que nous le voyons : l’aboutissement de sa recherche religieuse, après une série de trébuchements, est l’athéisme, origine de tous les autres maux. Ainsi quand vint ton Fils, avons-nous vu les sociétés anciennes, dans lesquelles la raison s’était exercée intensément, en toute liberté – Grèce la savante, Rome la prudente – plongées dans les plus désolantes ténèbres.

Pour remédier à un mal aussi immense, donne-nous, Seigneur, un remède gigantesque. Contre l’énergie dissolvante de l’entendement critique, il ne suffit pas que les Etats protègent la religion et la soutiennent : ce seront toujours des hommes guidant des hommes, des aveugles guidant des aveugles. Nous voyons ce qui est sorti en quatre siècles des religions protestantes soutenues par les États saxons : d’abord un foyer de sectes, puis la glace du rationalisme, les sorcelleries du spiritisme et la pourriture gnostique de la Théosophie, c’est-à-dire l’athéisme, la superstition et la nécromancie, dégénérescences ultimes de toute religion.

Pas même le Livre Saint, qui est ta Parole, ne peut à lui seul refréner l’audace de cette chose vivante qu’est l’entendement ; car l’expérience nous a montré que la Bible ne sert pas un but pour lequel elle n’a pas été destinée. A partir des paroles les plus simples qui y figurent – « Ceci est mon corps » –, deux cent treize interprétations distinctes et contraires ont forgé la licence de l’entendement protestant[10].

Seigneur, contre la corruption de cette force spirituelle et vivante, donne-nous un remède surnaturel et vivant. Que Moïse ne nous parle pas, car nous douterions ; mais parle-nous toi, Seigneur, et nous croirons. Voici, pour échapper à notre péril, ce que nous te demandons :

Donne-nous pour toujours un maître des choses divines qui ne puisse pas se tromper ;

Donnez-nous une promesse de ta part et confirme par ton sceau qu’elle n’est pas trompeuse ;

Donnez-nous une société visible comme une ville sur un haut plateau, comme une torche sur un candélabre, afin que les plus pauvres et les plus grossiers d’entre nous puissent discerner à son pinacle où se trouve le Maître qui ne se trompe pas ;

Seigneur, contre l’orgueil de la chair et la luxure de l’esprit, contre la séduction des ténèbres et du désordre, contre toutes les puissances du Mal et de l’Obscurité, accorde-nous le miracle de l’Infaillibilité.

Notes et traduction erickaudouard©

*

[1] 2 Timothée, III, 1-5.

[2] 2 Timothée, IV, 3-4.

[3] La véritable citation est : « Quand je veux savoir les dernières nouvelles, je lis saint Paul » (Journal, Léon Bloy).

[4] Mgr Gustavo Franceschi, La Angustia Contemporánea, 1929, chap. III : « La crisis de las ideas”, p. 75.

[5] Hermann von Keyserling (1880-1946), philosophe germano-balte, il fonde avec son soutien l’École de sagesse en 1920 dont le Journal de voyage d’un philosophe autour du monde était alors très célèbre.

[6] Allusion à Pic de la Mirandole (1463-1494), philosophe et théologien italien : pour se moquer de sa prétention à l’omniscience, on ajouta à sa devise De omni re scibili ( « De toutes les choses qu’on peut savoir ») et  quibusdam aliis (« et même de plusieurs autres »). D’où l’adjectif « mirandolesque » dans la phrase suivante, pour qualifier l’invention de l’imprimerie.

[7] Correspondance avec Henri Alain-Fournier.

[8] Louis de Bonald (1754-1840), homme politique, philosophe et essayiste français, grand adversaire de la Révolution française.

[9] Aristote, Métaphysique, II, chap. 4. Note de Castellani.

[10] Bellarmin, De Euch. 1, chap. 8. Note de Castellani.