Marteau des impostures (I)

Ô Gaby l’Élu !

Agrégé de lettres, docteur en philosophie, poète, musicologue et ci-devant catholique, Gabriel de Zénon a publié une trentaine d’ouvrages et plus d’une centaine d’articles. Il a tout lu et il est en passe de tout écrire. Il est la perfection d’un écrivain qui a paru ces dernières années à 5 ou 7 exemplaires à Paris ; il en parachève le type comme l’albatros et ses trois mètres cinquante d’insolente envergure couronnent les chichiteux efforts de la mouette et du gabian argenté. De l’avis de chacun, il est brillant, profond, prodigieusement intelligent. Gâté de tous les dons, pourri de talents, infecté par la Grâce. Musicologue, il parle de la musique comme personne, car en fait, sa parole est musique, sa musique est parole, et tout blabla chu de ses doctes anfractuosités buccales entre infailliblement en résonance avec cette Grande Symphonie Spirituelle que l’Oreille Absolue seule perçoit. Et par chance, figurez-vous qu’il l’a, l’Esgourde Intégrale. Les térébrantes émotions que les Grands Compositeurs lui inspirent n’ont d’égal que les migraines qui l’embrochent de temps à autre, comme Pascal, aime-t-il à rappeler à celles et ceusses qui n’ont pas sondé l’importance capitale des hémicrânies de l’apologiste auvergnat. Catholique, Gabriel de Zénon l’est comme quelqu’un qui vit vingt-quatre heures sur vingt-quatre en contact avec les Supériorités Immenses de l’Incalculable Transcendance, c’est-à-dire avec l’Infinité Qui est lui et Qui est plus que lui et Qui est la Pensée, etc., etc., etc. En gros, c’est un ange.

Avec Gabriel de Zénon, foin des béquilles, foin des bretelles sur lesquelles la misère des misérables s’obstinent à compter pour tenir cap et pantalon. L’Envie, la Vanité, la Jalousie, – ce trident de mort planté dans le dos des bossus anthropomorphes -, n’ont jamais, au grand jamais, effleuré la cristalline ordonnance de ses vertèbres. Ses mains et ses doigts, qui ne touchent que claviers d’Ineffable Harmonie, sont intacts du vulgaire cambouis que fouissent les tâcherons de pâte humaine; la malveillance rôde, mais personne n’a encore aperçu un zeste roturier sous ses ongles. Le poète subjugue sans y penser, le poète plane icarien, au-dessus des cirrus, autour des solaires et philosophales Béatitudes, et vraiment c’est merveille, c’est miracle, car ne dialogue-t-il pas avec la stratosphère sans se givrer pieds ou couilles aux glaçons de l’abstraction?

Avec Gabriel de Zénon, vous découvrez aussi qu’être catholique, c’est bien moins humilier son orgueil sans relâche qu’appartenir au club d’élégance le plus sélect, un club contre lequel ne prévaudront pas les portes de l’Enfer, – des masses, cela va de soi. C’est qu’on en est, – ou pas. Lui, Gaby, possède la carte d’Élu. Saint Augustin est son maître, mais par faveur à lui seul réservée, le disciple s’intronise citoyen de Cité Divine sans passer par les Confessions. En conséquence, Gaby dit le Vrai, Gaby fait le Bien, Gaby crée le Beau ; depuis cette éminence, son Éminence contemple les marionnettes de bave et de boue qu’on appelle les hommes. Quelques fois, dans sa mansuétude, il consent à ce qu’un rayon de pure lumière irradie ces pantins glaiseux et leur fendille la croûte : c’est quand il glose et qu’on l’écoute. En l’écoutant, vous avez l’impression de traverser les trois cent dix-huit pièces meublées de son architecture cérébrale, toutes aussi magnifiques les unes que les autres, dont il consent à vous faire la visite avec cet impondérable dédain des aristocrates qui savent que le bougre qu’ils guident ne saurait prendre conscience de la valeur des étoffes ni de la somptuosité de la marqueterie sur laquelle ses godillots ont l’honneur de ventouser leur ignorance ontologique. Mais quel est donc ce doux tic-tac ? C’est justement le mot ontologique qui revient avec la régularité d’une horloge à pendule, la pendule du Temps Qui Ne Passe Pas. Attention, attention, pendant que vous pérégrinez dans le château de l’Ange, il est interdit d’être bête, c’est-à-dire de déraper sur les patins de feutre de l’Inspiration Obligatoire. Bercez-vous, charmez-vous, profitez de la Présence de l’Eternel Principe ; Son Nom est reproduit à perte d’ouïe sur le papier-peint dont Gaby a tapissé les murs. Et surtout, ne jetez pas de coup d’œil par les fenêtres, vous risqueriez d’apercevoir des fumées tout là-bas, vous risqueriez de vous rendre compte que ces lointaines volutes, suints d’indigence intellectuelle et morale, s’échappent de vos propres cabanes, les taudis à nous autres, pauvres d’esprit.