Vivement les bêtes, par Guido José Mizrahi


(Erick audouard, 2023)

 

Il est de plus en plus évident que les adultes n’écoutent rien. Dans ce monde, nous serons appelés à parler de plus en plus doucement, car bientôt les seuls capables d’écouter seront les enfants. Et s’ils n’y arrivent pas, il faudra s’abaisser davantage, pour avoir le privilège d’être écouté par les chiens; et au-delà, comme dernière alternative à la surdité universelle, il faudra ramper sur le sol en priant pour que les cafards et autres insectes veuillent bien entendre ceux qui ont encore quelque chose à dire.

Paradoxalement, alors que nous sommes dans un monde de communication sans limites, personne n’a sérieusement quelque chose à dire et personne n’a sérieusement d’oreilles pour écouter. Non seulement les conversations deviennent ridicules, obscènes et vides de sens, mais elles se sont changées en une espèce d’assourdissement continu. Il est littéralement impossible de prêter son tympan à la quantité d’absurdités qui sont proclamées aux quatre vents. Et plus personne ne fait sortir de sa bouche quelque chose qui vaille la peine d’être dit. Plus les gens parlent, moins ils disent ; plus ils écoutent, moins ils entendent – de telle sorte qu’il n’y a jamais eu autant de parleurs muets et d’auditeurs sourds. Ceux qui écrivent écrivent à la va-vite et ceux qui lisent ont une capacité de lecture d’environ une minute.

Les portes de l’intelligence se ferment comme des paupières; elles ne tarderont pas à se fermer définitivement. A ce rythme, ce ne sont pas les machines qui nous dépasseront, mais les bêtes des forêts et des champs – ces créatures étonnantes qui jamais ne se laisseront séduire par une machine. Très prochainement, un daim, un taureau, une vache, ou un oiseau dans son nid comprendront beaucoup mieux la situation de l’univers que les autres mortels que nous sommes. Car il n’y a aucun risque que ces bêtes aux sons ancestraux perdent leur calme ou qu’elles soient contaminées par la surdité universelle.

Et de même qu’à l’origine des temps nous les avons craintes à cause de leur force brute, nous serons subjugués par leur impassible sérénité. Il sera plus commode pour un coq de nous dire l’heure que pour un expert de nous enseigner la météorologie. Le meuglement d’une vache sera plus propice à la compréhension de la nature des pâturages qu’un ingénieur agronome à l’explication de l’état des sols. Et qui sait si nous ne devrons pas consulter un hibou pour comprendre la nuit, plutôt qu’un astrophysicien et son savoir sidéral.

Continuons ainsi, et la simple sagacité animale nous distancera de plusieurs années-lumière – nous et notre “intelligence artificielle”. Toute la nouvelle machinerie technologique porte à la perfection le bla-bla, la bêtise et l’infantilisme humains, nous laissant séduits comme des singes par une banane. Mais c’est injuste pour les singes : même un chimpanzé n’est pas aussi prompt que l’homme à s’emparer de ces grotesques artifices.