Cantique de l’arbre en novembre

 

Seigneur, j’ai perdu toutes mes feuilles dans ce mois de novembre qui s’est abattu sur la terre comme un violeur.

Son vent m’a fouillé à fond. Par rafales il m’a forcé. Jusqu’aux entrailles, il m’a connu. Quelques compagnons sont tombés, certains plus grands que moi, certains de même taille, même allure, et c’est à peine si j’ose un œil de leur côté : eux qui chantaient d’aplomb, eux qui narguaient le jour, flamboyaient d’or et d’orgueil, miroitaient à l’envi, et nous bruissions ensemble d’un baratin vraiment sublime, il fallait voir !, ils se sont tus.

Eux qui bluffaient la nuit en étant plus noirs qu’elle, ils mâchent la boue.

On dit que l’arrière-saison joue ce mauvais tour aux superbes, qu’elle les abat, qu’elle leur fait les poches et les pillent, pour qu’ils se remémorent d’où vient le don. Je veux bien le croire, Seigneur, mais c’est trop qu’on me prenne en pitié.

Garde moi du passant qui s’émeut de me voir si pauvre et si nu ! Ce n’est pas lui qu’on élague et qu’on éclaircit, et je risquerais de maudire, moi qui fut grandiose, moi qui fut vaste et clément comme un prince quand des cantates d’oiseaux tonnaient à tue-tête dans mes poumons ! Je risquerais d’épuiser le peu de sève qui me reste, blottie, transie comme elle est, perdue entre les fibres, comme une fillette que la honte défigure.

Après l’outrage, ce mois de novembre a cru bon de pisser sur ma honte. Et tu sais que j’ai maudit, Seigneur, que j’ai pleuré de rage, non comme le souverain déchu qui cède sa pourpre avec noblesse, mais comme qui, greffé de vieux griefs, se révolte et gémit. Tout mon corps griffait. Mes doigts se sont crispés vers Toi.

Et bientôt il ne s’est plus tenu, au bout de mes branches, que cette urine infecte à mes larmes mêlée. Sur les rameaux pénibles, sur l’écorce agacée, que ce jus froid de rancune, saucée d’iniquité.

L’âcre et l’amer ont fleuri. Je suis mort longtemps.

Et voici qu’un matin, Seigneur, Ta lumière a choisi d’éclairer les milliers de pleurs impurs dont le mystère scandaleux m’a purgé.

Et voici qu’en les éclairant, tout à l’heure, tu as fait de moi le plus beau chandelier de Ton jardin.

Et voici qu’à l’instant, Tu me perles de diamants, Seigneur. Tu me couronnes de cristaux, Tu me fais fructifier d’étoiles à rendre verts de jalousie tous les printemps de Ta Création – et de toutes les gouttes de mon infamie, pas une seule, non, pas une seule, n’échappe à Ta Gloire.