L’état des choses raconté aux petits enfants

 
C’est l’histoire d’un Génie né des mains de l’homme au sortir du Paradis Terrestre. Un Génie qui faisait tout ce qu’on voulait : il faisait du feu, il perfectionnait les armes, il améliorait la vie. Les hommes le choyèrent, le nourrirent, l’adorèrent. Le génie ne cessait de progresser, car il savait se corriger; il apprenait de ses erreurs, et il apprenait très vite. Puis il commença à grandir, à grandir, jusqu’à s’étendre sur toute la planète. A la fin, il recouvrit le monde d’un manteau noir de fumée, avec des machines, avec des usines, avec des hauts fourneaux, avec de lourdes conséquences, et il encombra l’espace d’objets de toute sorte, pour la plupart inutiles. Et les hommes s’épouvantèrent : s’étaient-ils trompé? Avaient-ils engendré un Monstre ? Ne fallait-il pas l’arrêter ? Ce génie qu’ils avaient adoré les empêchait de respirer, leur faisait mal aux yeux. Bien sûr, il leur avait apporté beaucoup, il avait multiplié à l’infini les moyens de satisfaire leurs moindres désirs, mais les hommes ne voulaient plus le voir, les hommes regrettaient de l’avoir engendré. Comment faire, se demandaient-ils : c’est un Monstre qui nous a échappé. Et c’est alors que soudain, comme s’il avait entendu leurs craintes, le monstre commença à réduire. Frappé par un sortilège, il réduisit, réduisit, jusqu’à tenir dans une poche ; il se miniaturisait à toute vitesse, et avec lui tous les objets semblaient souffrir d’une sorte de nanisme accéléré. Les hommes se félicitèrent : ils avaient eu tort de le craindre, leur bon Génie! Il faisait encore des progrès: n’était-il pas le Progrès lui-même? Lorsqu’ils se rendirent compte que le monstre, devenu tellement minuscule qu’il en était presque invisible, s’apprêtait maintenant à entrer en eux, il était trop tard. Le monstre bondit dans leur corps et dans leur esprit où il s’installa, régna en maître et seigneur absolu. Et plus aucun homme ne le vit jamais plus, car d’homme, il n’y en avait plus pour le voir.