Journal de guerre (pages arrachées)

 

Il est quatre heures. Nous sommes tenus de vivre des moments rares, des moments d’émotion sublime. Tout un pan du monde est tombé de ce côté, en faisant si peu de bruit qu’il a fallu engager un orchestre pour sonoriser sa chute.

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Hier, j’ai amené une vieille dame assister à la fonte des socles. Dans la foule, un vieux ronchonnait à voix basse : « C’est la fin du monde, et tout le monde veut sa piscine ! »

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Les généraux se sont exprimés. Ils ont parlé tendresse, volupté, chatouilles avec consentement mutuel. Le pire est attendu.

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Le Chef des armées a enfin expliqué pourquoi nous faisons avorter nos femmes et pourquoi nous mutilons nos enfants. Le but est d’effrayer l’ennemi en lui montrant combien de mal nous pouvons nous faire.

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J’ai perdu contact avec M. et C., avec A., avec X., avec T. aussi. Nos messages sont interceptés à la porte de nos cerveaux. Que faire ? La vie quotidienne n’est plus notre amie, la vie quotidienne ressemble à une édition critique où les notes de bas de page ont submergé le drame en cours. Car il y avait un drame en cours, mais qui s’en souvient ?

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Cependant, la vie continue comme avant. Un tableau, un poème, une équation, fussent-ils d’une exceptionnelle beauté, s’ils n’ont pas de débouché commercial c’est comme s’ils n’avaient jamais existé. A côté, une fiole contenant le virus de la variole, un caillou radioactif, la confession d’un cannibale ouvrent toute de suite de riantes perspectives ; ce sont des contacts à établir, du marketing à prévoir, des choses à raconter.

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Pour avancer, l’histoire n’a pas besoin de raisons. Elle a seulement besoin de victimes. Il est question de faire de grandes avancées historiques.

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Des explosions retentissent au loin. Il paraît que les combats sont vifs autour de la frontière, mais rien n’est sûr. C’est peut-être un tournoi de pétanque.

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A l’extérieur, c’est un missile hypersonique, à l’intérieur une charrette qui grince et tourne en rond, tirée par un vieil âne aux yeux crevés.

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Une vallée de larmes, Seigneur, et pas un mouchoir propre !

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