La taille des choses, par G.K. Chesterton

 

 

 

 

C’est l’un des paradoxes de l’homme qu’une petite chose lui semble toujours beaucoup plus grosse qu’une chose grande. Nous remarquons un signe dans le ciel alors que nous ne remarquons pas le ciel ; nous identifions un point de repère dans le paysage alors que nous apercevons à peine le paysage ; et nous regardons avec crainte les corps célestes qui tourbillonnent au-dessus de nos têtes sans prendre conscience du tourbillonnant corps céleste sur lequel nos pieds sont posés. Une petite chose est un objet ; une grande chose n’est qu’un arrière-plan. Bien sûr, cette vérité a des racines très profondes, proches de ce que la religion a toujours dit au sujet de la dépendance et de l’ingratitude humaines. Il n’est peut-être pas très courtois, de la part du philosophe qui rencontre un homme avec un caillou dans sa chaussure, de lui rappeler qu’il a beaucoup de chance d’avoir des jambes. Il n’est peut-être pas très prudent pour le mystique, lorsque la ménagère se plaint d’une toile d’araignée au plafond, de lui dire que le plafond peut lui tomber dessus à tout moment. Mais le philosophe et le mystique ont tout de même raison, et la vérité de ce qu’ils disent est souvent exhumée dans les secousses sismiques de la guerre, lorsque des membres sont réellement emportés par des boulets de canon ou que les toits s’écroulent sous le choc des obus. C’est en cela que la guerre ressemble beaucoup à un tremblement de terre, car un tremblement de terre est une chose dans laquelle la plus grande chose que nous connaissons commence à bouger, nous rappelant pour la première fois combien longtemps elle est restée immobile.

Illustrated London News, 16 décembre 1916.

(Traduction Erick Audouard)