Les contes de fées ne sont pas responsables de la production de la peur chez les enfants, ni d’aucune des formes de la peur ; les contes de fées ne donnent pas à l’enfant l’idée du mal ou du laid ; tout cela est déjà dans l’enfant, parce que c’est déjà dans le monde. Les contes de fées ne donnent pas à l’enfant sa première idée du fantôme ou du spectre. Ce que les contes de fées donnent à l’enfant, c’est sa première idée claire de la défaite possible du fantôme. Le bébé connaît intimement l’existence du dragon depuis qu’il a une imagination. Ce que le conte de fées lui fournit, c’est un saint Georges pour tuer le dragon.
Le conte de fées fait exactement ceci : par le truchement d’une série d’images claires, il l’accoutume à l’idée que ces terreurs sans limites ont une limite, que ces ennemis informes ont des ennemis dans les chevaliers de Dieu, qu’il y a dans l’univers quelque chose de plus mystique que l’obscurité, et de plus fort que la plus forte des peurs. Quand j’étais enfant, il m’est arrivé de fixer les ténèbres nocturnes jusqu’à ce que leur masse se transforme en un géant noir plus grand que le ciel ; et s’il y avait une seule étoile, cela faisait de lui un cyclope. Mais les contes de fées ont rétabli ma santé mentale, car le lendemain, j’ai lu un récit authentique sur la façon dont un nègre aux dimensions similaires et doté d’un œil unique avait été déconcerté par un petit garçon comme moi (de même inexpérience et de statut social encore plus bas) au moyen d’une épée, de quelques mauvaises devinettes et d’un cœur courageux. Parfois, la nuit, la mer semblait aussi redoutable que n’importe quel dragon. Puis j’ai rencontré beaucoup d’autres petits garçons et petits moussaillons pour lesquels un dragon ou deux étaient aussi simples que la mer.
… Aux quatre coins du lit d’un enfant se tiennent Persée et Roland, Sigurd et saint Georges. Si vous lui retirez la garde des héros, vous ne le rendez pas rationnel ; ce que vous faites, c’est le laisser se battre tout seul contre les démons.
Tremendous Trifles, 1909.
(Traduction Erick Audouard)