L’amour de Dieu, par Jacques Rivière (1912)

 

Dieu aime les hommes. Il aime chacun de nous dans ses entrailles et selon qu’il l’a fait. Il ne s’amuse pas à se retenir sans cesse sur la pente d’une préférence, il ne s’oblige pas à penser à tous les autres au moment où son brûlant amour s’approche de l’un de nous. Son amour, c’est autre chose qu’une bienveillance, qu’une protection administrative, que le sourire d’un sage toujours prêt à pardonner. C’est l’amour avide et égoïste du Créateur ; il est pareil à l’acte même de la création ; il le recommence. Dieu revient trouver ce qu’il a fait et avec le même cœur qu’il avait alors, et dans le même orage qu’au commencement ; il rentre dans le tumulte de tous les sentiments qui l’animaient autrefois ; le plaisir inexplicable de ses mains quand elles formaient cette âme, l’allégresse et l’apitoiement dont il était plein, voici qu’il les éprouve encore, comme au moment de la besogne ; celui qu’il créa dans la joie, il l’aime dans la joie ; il « se réjouit » en sa créature ; il « se récrée » en elle : et c’est là sa prédilection. 

 

Extrait de De la foi, par Jacques Rivière (1912)