L’éternel et le révolu

 

« C’est la Révolution qui a amené la vieillesse dans le monde », dit un jour Marie-Aurore de Saxe à sa petite-fille. La vieille dame disait juste. Mais deux siècles après, le constat s’est approfondi, et nous avons découvert un secret plus terrible. C’est la Vieillesse qui a amené la révolution dans le monde.

La Vieillesse est révolutionnaire. Elle l’a toujours été, et elle l’est aujourd’hui avec des moyens d’une rare nuisance. Celui qui sera en mesure de le faire comprendre aura beaucoup fait.

La Vieillesse est affamée de réformes et de révolutions parce qu’elle s’indigne et se révolte contre un monde qui lui échappe. Elle veut le changement pour fixer ce qui ne peut l’être, et que chacun célèbre le fauteuil roulant quand elle a perdu l’usage de ses jambes. Elle appelle sagesse et prudence sa raideur et sa couardise, elle appelle santé sa maladie et elle appelle printemps son haleine putride. Elle change le sens des mots pour exalter le génie de la décrépitude, et porter en triomphe la sclérose de son âme. Elle exècre la réalité comme une femme qu’elle ne peut honorer. Le meilleur de ses tours fut de confisquer l’enthousiasme à son profit. Et son ambition est de mettre l’aube en esclavage pour en tirer le maximum de bénéfices. Ainsi, l’époque moderne aura été cette étrange séquence historique où l’on a persuadé les jeunes générations que l’esprit de leur âge était de réaliser le rêve des vieux. Il suffit de descendre tout de suite dans une rue : nous en voyons le comble et le terme.

A quoi s’oppose l’esprit de vieillesse ? A l’esprit d’enfance.

L’esprit d’enfance ne cherche pas à changer l’état des choses, il s’y plaît, fait son miel où qu’il soit, et son chant de tout bruit, sa merveille de toute rencontre. Son temps ne s’accélère pas, il se dilate, tend à l’infini.

Au contraire, l’esprit de vieillesse a toujours une urgence, un caillou dans sa chaussure, une grimace au visage, une diète ou un programme à suivre. Il se gâte l’intérieur et s’épaissit la vue par des soucis d’affaires, se rétrécit et se durcit le cœur par la crainte de manquer, ne jouit plus de la vie et veut dégoûter les autres de vivre.

La programmation est son mode opératoire comme le sérieux sa vitrine.

L’esprit de vieillesse est toujours perdu, parce qu’il a peur de perdre.

L’esprit d’enfance ne l’est jamais, parce qu’il n’a rien à perdre.

L’esprit de vieillesse crée le chaos, parce que l’ordre ancien ne le sert plus et qu’il lui en faut un nouveau pour garder la maîtrise.

L’esprit d’enfance met tout sens dessus dessous, mais c’est parce qu’il s’abandonne entièrement au mystère éternel, et à son vertige.

Là où les hommes se disputent la signification du désastre, le bon entendeur tend l’oreille pour reconnaître la voix de l’un et de l’autre. Et il les reconnaît sans faille. Quand l’esprit de vieillesse dit « Plus jamais ça ! », l’esprit d’enfance dit « Encore ! Encore ! ».

Au bon entendeur.