Courrier de l’au-delà (VI)

7 lettres d’un vieil ange gardien

à un ange débutant

 

 

I

 

Pur esprit,

On me demande de te donner quelques conseils avant ton premier vol. L’ordre vient d’En-Haut. Ça ne se discute pas, mais je dois me creuser les méninges. Qu’est-ce qu’un vétéran déplumé comme moi peut bien apprendre à un jeunot fringant, aux rémiges impeccables et printanières? Je suis vieux et fatigué. Certains disent que je ressemble à un hibou; je ne fais plus que ronchonner. La vérité, c’est que les hommes sont impossibles ! Et puis l’accumulation des décalages horaires a fini par me détraquer ; c’est ce qui nous arrive à nous autres, qui n’arrêtons pas de faire la navette entre le Temps et l’Eternité.

Il paraît que tu as obtenu ton chérubinat avec mention ; moi aussi, et j’ignorais tout de ce qui m’attendait. L’épreuve du terrain, c’est vraiment une autre paire d’ailes! J’ai commencé mon apprentissage il y a belle lurette. A l’époque, les hommes n’avaient pas de téléphone ni de télévision, encore moins d’ordinateurs. Il y avait certaines différences entre ce que nous faisions et ce que faisaient les anges qui nous avaient précédés, mais pas tant que ça. Si je te décrivais notre quotidien, tu aurais l’impression de revenir au Moyen Âge. Ce ne serait pas surprenant : c’était le Moyen Age… Quel bon temps que celui-là, où les chrétiens avaient des conflits intérieurs tant que leur conduite ne s’accordait pas avec leur foi ! Gagner sa croûte et son salut, c’était la grande aventure d’En-Bas, et personne n’en doutait! Bien qu’il ne soit pas donné à leur race de voir toute la réalité, les hommes savaient que nous luttions pour eux, à côté d’eux, dans le monde invisible. Ne perdant jamais de vue leur destinée éternelle, ils étaient ouverts à l’infini. Nous n’avions qu’à murmurer, ils tendaient l’oreille. S’ils n’obéissaient pas toujours, au moins ils écoutaient !

Bon, tu vois quel grincheux nostalgique on t’a refilé comme parrain. J’ai le mal de terre ; c’est mon travers. Espérons que tu ne seras pas trop secoué par ta mission, qui consistera à inspirer et à protéger l’une de ces hypostases hybrides, à la fois charnelles et spirituelles, qui font partie de ce qu’on appelle l’espèce humaine. Nous sommes les facteurs du Créateur auprès de créatures vraiment curieuses (un peu fantasmagoriques, à mon goût), car elles naissent et vivent dans des corps (organismes à base de limon), croissent et souffrent de toutes sortes de maux, chutent et rechutent dans des erreurs sans nombre dont elles tirent des leçons pour s’améliorer ou pour se tromper de mieux en mieux ; promises à l’au-delà, tiraillées par une soif d’absolu qu’elles confondent avec leurs désirs (elles ne savent pas vraiment ce qu’elles veulent), elles sont appelées à découvrir leur vocation dans une splendide composition de lumière et de ténèbres, qui reste à leurs yeux un mystère, jusqu’à ce que la mort les bascule de notre côté. Tu me suis ? En tant que préposés de la Poste céleste, nous leur délivrons des messages subtils et providentiels qu’elles ont le choix d’ouvrir ou non, et d’interpréter à leur guise. Ces services d’acheminement et de distribution effectués (il faut souvent y revenir à deux fois), nous chantons la Gloire de Dieu dans une ineffable harmonie. Personnellement, la musique cosmique, c’est ce que je préfère – et de loin.

A ce propos, il faut que je te quitte. J’ai chorale.

 

Angéliquement tien,

Général de Brigade Divine Aéroportée, 7ème ciel.

 

II

 

Tu trouves mes conseils trop flous. Tu aimerais que je sois plus précis. Tu es un peu nerveux, quoi. C’est normal. Ayant des milliers d’âmes au compteur, j’ai oublié qu’on a beau être ange, on n’en mène pas large le jour du grand saut.

Ce que je peux te dire, c’est qu’en deux millénaires il y a eu moins de changement dans le gardiennage angélique qu’en l’espace de deux ou trois générations. Les conditions de travail ont été bouleversées. Quelques décades à peine ont suffi pour mettre tout sens dessus dessous. Les causes de ces bouleversements sont anciennes, mais leurs effets ne donnent leur plein régime qu’aujourd’hui.

Une des principales nouveautés, c’est que les hommes sont submergés de messages. Ils en reçoivent et ils en envoient dans de telles proportions que personne ne plus en faire le compte. Même pendant leur sommeil – une période de repos où nous pouvions nous entretenir en tête à tête avec leur âme  – les messages ne cessent de tomber. A dire vrai, c’est une véritable cataracte, un second Déluge, sous lequel tous se noient. Il est comparable au premier, à la différence que, cette fois, Dieu n’y est pour rien ; tout se passe comme si les hommes avaient décidé de s’inonder les uns les autres avec des quantités astronomiques de futilités. Ces futilités, ils les nomment « informations » ; en réalité, ce sont surtout des bruits, des bruits et des rumeurs, et des commentaires de rumeurs, et des commentaires de commentaires de commentaires, etc., destinés à les distraire de la connaissance naturelle pendant la journée et des visions surnaturelles pendant la nuit. Bref, ils sont littéralement bouchés. La correspondance divine n’arrive plus, et le patron s’en plaint. Divertissement, distraction, divagation sans fin ; va savoir par où glisser ton enveloppe dans ce blindage de fadaises et d’inepties !

Voilà ce qui arrive quand la fin des sociétés n’est plus la contemplation de Dieu. Autre conséquence : en moins d’un siècle, ceux qui travaillaient la terre à la sueur de leur front sont peu à peu devenus des hommes-en-pot. Ils se cultivent et s’exploitent eux-mêmes comme des légumes. Enfermés dans des boîtes, on les dirait pris dans des sables mouvants jusqu’à la taille. Tristes bustes ! Pour se donner l’impression de faire quelque chose, ils appuient sur des boutons avec le bout des doigts. Mais ce contact est encore trop réel, et comme ils ont conçu une honte extraordinaire à l’égard de leur propre corps, ils envisagent de se transférer prochainement dans leurs machines. En attendant, les loisirs qu’ils s’accordent sont si navrants que j’ai peine à les évoquer : puisque leurs jambes ne leur servent plus à se mouvoir vers leur prochain, ou même à se diriger contre lui, ils font du sport (c’est une activité physique qui consiste à fournir un effort colossal pour un résultat ridiculement petit). Ou du tourisme (c’est une non-activité frénétique qui consiste à souiller l’espace le plus loin de chez eux). Mais voilà que je ronchonne encore !

Revenons aux fondamentaux : dès que tu auras reçu ton affectation – c’est-à-dire dès que l’âme à laquelle tu es voué aura pris chair dans l’union d’un homme et d’une femme –  tu devras t’attacher à l’orienter, à la guider, à lui insuffler courage et rectitude, en repoussant ce qui la détourne du bon chemin, celui de la vérité, de la justice et de la charité. Elle est censée en avoir la science infuse, mais ne compte pas trop dessus. Si tu peux lui donner un peu d’air de temps en temps, la sécher et la réchauffer en la mettant à l’abri de cette pluie infernale dont je t’ai parlée, la sortir de son pot et de ces boîtes où elle s’isole, ça ne serait pas du luxe.

Et tout ceci avec la plus grande délicatesse, note bien, car il nous est interdit d’attenter d’un iota à sa liberté. Pourquoi devons-nous laisser à ces créatures sacrément imparfaites la possibilité de refuser les dons de Dieu, je ne suis toujours pas parvenu à le comprendre au juste. Si je m’étais écouté, crois-moi, tous ces mortels braillards et capricieux auraient filé doux ! Et gare à celui qui n’aurait pas suivi la partition! Notre Créateur est presque timide avec les hommes, comme un amoureux : Il ne les force jamais. Il n’a besoin de rien, et pourtant Il les attend. Il peut tout, et Il leur demande tout. C’est paradoxal, je sais, mais ce n’est pas moi qui ai fait le monde.

 

G.B.D.A, 7 c.

 

 

III

 

Tu voudrais que je te parle du diable et de sa légion ? Tu t’interroges sur les moyens dont disposent ces anges déchus pour te disputer l’âme de ton futur protégé ? N’aies pas peur. On s’en fait tout un monde avant de les voir de près ; la haine les rend hideux, certes, mais n’exagérons pas leur lucidité. Ce que tu découvriras, c’est que les diables ne sont que de pauvres diables. Non seulement la sagesse leur manque, mais ils n’ont aucun véritable humour, parce qu’en désobéissant à Dieu, ils se sont accordés une importance qui les ronge. Jamais tu n’en verras un seul rire de bon cœur de lui-même lorsqu’une âme plus douce et plus rusée que les autres échappe à ses griffes. Mauvais joueurs, ils n’exultent que lorsqu’un malheureux tombe dans leurs pièges.

Si ces pièges et ces tentations sont toujours les mêmes, c’est vrai qu’ils ont changé d’apparence avec le temps. La destruction brutale, les grandes manœuvres pyrotechniques, les possessions violentes, n’ont plus les faveurs du démoniaque. Depuis que les démons ont ouvert les portes de l’atome et celles des gênes à l’irresponsable avidité des savants, le pire se déploie tout seul. Le pire consiste à substituer des artifices à tout ce qui est organique et à s’occuper ensuite de gérer les conséquences de cette substitution ; à changer sans cesse les conditions d’existence des êtres humains, de telle sorte que toute profanation ressemble à un progrès ; à remplacer le vrai, le bon et le beau par des copies si bien imitées qu’ils en oublient les originaux, ou qu’ils les condamnent comme néfastes et contraires à leur évolution. En bas, ils appellent ça le « Système » ; maintenant que le système est en place, ils le vénèrent et le redoutent comme une idole.

Pour ne pas perdre la boule devant ses contradictions, il faut que tu saches que l’homme n’est pas une bête rationnelle ; il est rationnel en puissance, animal rationis capax. Chez lui, le sens commun n’est pas si commun que ça ; la plupart du temps, la raison ne lui sert qu’à savoir ce qu’il doit faire pour avoir le plaisir de faire ce qu’il ne doit pas, comme disait un de leurs prophètes. Le relativisme – qui est la philosophie des savants et des habiles – leur permet de tolérer l’abominable avec bonne conscience. Et Dieu sait qu’ils se le permettent ! A mon avis, dans le genre, leur plus folle réussite est l’immense bazar technologique qui prétend ravir au Créateur son omniscience, son omnipotence et son omniprésence ; en s’attribuant quelques-uns de nos privilèges angéliques, au passage. Tu te doutes que notre ancien collègue à cornes, qui connait la maison, n’est pas pour rien dans ce fléau.

 

G.B.D.A, 7 c.

 

IV

 

 

Post-scriptum de la lettre III: souviens-toi que Belzébuth n’est pas le Seigneur des lions, mais des mouches. Les mouches sont des bestioles minuscules qui ont le pouvoir d’infecter et de contaminer presque tout ce qu’elles touchent ; elles ont aussi celui d’empêcher la concentration. Les nuées d’images agissent comme les nuées de mouches sur l’esprit humain ; une fois assailli (chez eux, on dit « connecté »), l’esprit perd toute faculté de penser ; s’éparpillant, il ne peut plus accueillir ni se recueillir. Le souci de savoir et de prévoir remplace alors la patience, qui est l’attente confiante d’un bien. Quand on ne sait plus attendre avec confiance, l’inconnu devient une torture, l’inexplicable un affront, et voilà bientôt toute l’âme angoissée qui court après des raisons de vivre sur des réseaux – c’est-à-dire là où elle n’a aucune chance de les trouver. C’est parce que sa quête n’a plus d’essence qu’elle s’en remet à un « moteur de recherche » ; c’est parce qu’elle n’a plus de vrais amis qu’elle en veut des fictifs, et c’est parce qu’elle veut du réconfort qu’elle rencontre la détresse.

Dans cet univers machinique, l’une de nos ressources est de privilégier les anomalies de fonctionnement. Le bon vieux coup de la panne ou du grain de sable, en quelque sorte ! Souvent, derrière un « bug », il y a un ange. Tu t’attacheras donc, autant que possible, à enrayer tous les petits appareils dont ton protégé ne manquera pas de s’équiper. Ce n’est pas spectaculaire, j’en conviens, mais c’est très efficace. L’objectif est de le distraire de la distraction. Rien n’est plus pénible aux hommes que le silence qui leur tombe dessus tout à coup ; la plupart d’entre eux résistent mieux à la douleur qu’à un moment d’ennui. Ne sois pas surpris si tu vois le tien s’arracher les cheveux, grincer des dents, s’emporter contre ses engins, les injurier comme s’ils l’avaient trahi. Fais durer la chose assez pour qu’il se lève, ouvre une fenêtre, se tourne vers la personne la plus proche de lui et qu’il n’a pas regardée, simplement regardée, depuis si longtemps qu’elle n’est plus qu’une idée avec laquelle il cohabite. Tout ce qui dirigera son attention sur quelque chose de réel et de tangible, de vivant et de véridique, même si c’est une chose mauvaise, vaut mieux que l’abstraction macabre dont il subit l’hypnose.

 

 

V

 

D’après ta réponse, je soupçonne chez toi un grand désir de porter secours à ton protégé, de l’instruire et de le rappeler à l’ordre. Ayant vu la méchanceté de l’ennemi, tu es prêt à toutes les audaces pour qu’il se sauve, par ses vertus et par ses mérites. Tu as préparé un tas de devinettes que tu te proposes de semer sur sa route afin d’attirer son regard ; il y a en d’astucieuses, d’autres sont amusantes, la plupart sont puériles. Je loue le zèle de l’apprenti, mais je dois aussi rabattre son caquet.

Au fond, il y a toujours eu peu de choses à dire aux êtres humains. Si ce peu n’est pas dit, alors le vacarme envahit tout, et l’habitude du vacarme, qui abolit jusqu’au souvenir du besoin qu’ils ont de l’entendre. Prend garde de te manifester à bon escient. Ton rôle est grave, ta signature discrète ; tu es une quintessence de pureté, pas un pitre à élytres. Le nombre de gens qui voient partout de signes de la Providence est à peu près équivalent à celui des gens qui n’en voient nulle part. Si les seconds me désolent, j’avoue que les premiers m’ont toujours prodigieusement agacé. Figure-toi que j’en ai connu un qui prétendait avoir découvert mon nom : il me vouait un culte et me félicitait de ses bonnes fortunes comme si j’étais son nombril ailé. Ce qui devait arriver arriva : à force de se séduire lui-même, il a fini par se mettre en ménage avec un incube tout ce qu’il y a de plus câlin. Ce fut le grand amour, jusqu’aux rôtissoires de l’enfer.

 

G.B.A,7 c.

 

 

VI

 

J’ai retardé cette lettre, car c’est la plus difficile et la plus importante. Je me disais que, si tu devais n’en retenir qu’une seule, ce serait celle-là. Elle concerne la vraie joie que le Père désire offrir à ses enfants. Nous qui nageons comme des dauphins dans la clarté, avec agilité et finesse, nous n’avons pas idée des idées fausses que se font les humains à propos du bonheur. Imagine qu’Adam et Eve, les premiers d’entre eux, ont voulu être « comme des dieux » alors qu’ils vivaient dans l’Eden ! C’est comme si toi, qui est un ange, tu voulais te faire poulet pour savoir ce que ça fait d’avoir des plumes. Pardon pour cette trivialité; je ne suis pas poète. Du reste, je crois que le sujet me dépasse ; tu trouveras des explications plus complètes auprès d’esprits plus haut placés dans la hiérarchie.

Parlons maintenant de ces cas, pas si rares, où, tout gardiens que nous soyons, nous devons user d’une certaine violence contre les hommes. On t’a raconté à l’école l’histoire de l’humain appelé Jacob, qui devint boiteux après avoir combattu avec un ange. Cet ange n’était pas mon maître, mais mon maître a connu un ange qui connaissait son disciple ; celui-ci lui a expliqué pourquoi, avant l’aurore, le messager blessa Jacob à la hanche. Tu t’es sûrement demandé si c’était digne de nous de rendre un homme infirme ? Devons-nous redresser les tordus ou tordre les droits ? Les deux, mon capitaine, si la droiture d’un homme et son honnêteté lui font penser que « c’est arrivé » et qu’il n’est plus très loin de la perfection. Animé des meilleures intentions et des motifs les plus purs, il court le risque de se sentir justifié ; résistant à toutes les tentations, il peut se croire invulnérable et nourrir l’illusion de se suffire à lui-même; cette illusion le rend incapable d’être visité en profondeur par la miséricorde de Dieu. C’est alors qu’il est nécessaire de l’atteindre pour restaurer le lien qui l’unit à Lui.

Si tu as l’honneur d’être un jour dépêché pour une opération semblable, c’est que tu auras acquis ce qu’il faut de fulgurance et de tact pour blesser divinement ton protégé ; c’est que tu auras été considéré apte à pratiquer, d’une phalange de feu, ce genre de brèche dans la chair humaine, cette incision par où le Ciel se fait présent sous la forme d’une douleur tout à la fois intime et lumineuse, déchirante et salvatrice, à la jointure de l’âme et de l’esprit. Cet acte de chirurgie céleste a été décrit de façon complexe et raffinée par un certain nombre de leurs théologiens et de leurs mystiques. Entre nous, on le nomme simplement « le coup de grâce ».

 

G.B.A,7 c.

 

 

VII

 

Mon petit bleu,

 

J’ajoute ce billet pour une dernière mise au point. Selon nos rapports, la panique est en train de gagner le petit globe terraqué sur lequel tu t’apprêtes à fondre. C’est que les choses vont vite là-dessous. Quel boucan ! Cris d’alarme et d’effroi, sommations urgentes, lugubres, répétées, l’ambiance est à la catastrophe. Tu vas débarquer en plein sauve-qui-peut.

« L’humanité se trouve devant la plus grande tragédie qu’elle ait jamais vécue » déclarent les experts à la mode (tu les reconnaîtras à leur odeur de charognards). Quelle enflure ! Avec la meilleure volonté du Ciel, je ne vois pas ce qui les autorise à croire que leur vie est plus précieuse que celles des millions d’hommes qui sont morts avant eux. Mais c’est l’une des caractéristiques du climat mental actuel que de mêler une formidable vanité à l’anxiété la plus hystérique. Hier, ils croyaient le paradis à portée de main, aujourd’hui c’est la menace d’un cataclysme universel qui les obnubile. Chacun y va de sa petite recette pour se garantir contre l’avenir, ce qui est la plus grande perte de temps qu’on puisse imaginer. Ils pensent savoir ce qui vient, et cet orgueil les rend fous. Adorant leur sécurité, ils élèvent des autels à la peur, et les voici prêts à sacrifier leurs propres enfants pour la survie la Planète – qui est le masque derrière lequel se cache le cruel Moloch de leur confort terrestre.

A dire vrai, les humains ne sont pas en face d’une tragédie, ils sont en face de rien : rien affectif et sentimental, rien économique et politique, rien philosophique et métaphysique, rien littéraire et artistique ; s’ils continuent à ce rythme là, sous peu, en face du rien, il ne restera personne. 

Enfin, ton protégé va naître au milieu de cette énorme confusion ; la séduction du désespoir sera forte, la servitude plus volontaire et le goût de vivre moins évident que par le passé. C’est la raison pour laquelle tu feras bien de lui suggérer un peu d’humilité et de respect dans l’emploi des mots. Le sens des proportions lui évitera de craindre et d’espérer plus haut que son cœur. Il aura autant besoin d’intelligence que de foi pour se réjouir de l’excellence des choses et percevoir leurs fins dernières. Alors que les institutions humaines s’effondreront, et justement parce qu’elles seront en ruines, incite-le à suivre des cours de philosophie fondamentale afin d’apprendre à penser, et comment se conduire, et vers où, et pour quoi. Eloigne-le des foules comme des faux sauveurs. Rappelle-lui que son salut est sans prix aux yeux du Père, et que, s’il fait mémoire de la venue de son Fils, avec notre soutien et celui des saints, il saura toujours discerner ce qu’il faut aimer et ce qu’il faut haïr, ce qu’il faut respecter et ce qu’il faut mépriser. Aide-le à s’oublier lui-même sans oublier jamais que son âme porte un chant bien à elle, voulu depuis des siècles et des siècles. Et quand il trouvera le monde bizarre, aide-le à trouver plus étrange et plus merveilleux encore qu’il y ait un monde.

 

A toi, dans l’Eternel

 

G.B.A,7 c.