Une petite fiction

Flagellants | Penitents, Processions, Pilgrimages | Britannica

 

S’il y a beaucoup d’accusations et de calomnies dans nos contrées, il y aussi beaucoup de faux mea-culpa. Nous ressemblons de plus en plus à ces fous qui se présentent d’eux-mêmes au commissariat pour revendiquer un meurtre qu’ils n’ont pas commis. Ces fous sont innocents, bien sûr, mais ce sont des innocents dangereux : ils retardent la recherche du vrai coupable, et pendant qu’on écoute leurs aveux fictifs, d’autres crimes sanglants sont commis en toute impunité.

Chaque époque glorifie les vertus les plus proches des vices auxquels les hommes de cette époque sont enclins à céder. A côté de la tolérance se tient la lâcheté ; à côté de la repentance et de l’auto-critique se tient la haine de soi jusqu’au suicide.

Il peut paraître sage d’attribuer les catastrophes en cours à notre mépris des limites naturelles ; il peut même paraître saint de mettre la crise sur le dos des transgressions quotidiennes dont nous sommes les auteurs. Mais cette sagesse et cette sainteté sont très relatives, dans un monde déchristianisé qui tente d’inventer de nouveaux péchés capitaux et qui rate tout ce qu’il entreprend, dans le bien comme dans le mal ; elles ont surtout l’inconvénient d’alimenter l’une des petites fictions courantes à l’intérieur de la Grande Fiction : cette petite fiction consiste à croire que les hommes actuels ont assez d’ardeur, d’épaisseur et de libre-arbitre pour se livrer en toute conscience à ce qu’on appelait autrefois un péché. La vérité, c’est qu’ils en ont de moins en moins : les automatismes, les réflexes conditionnés, l’accoutumance à la barbarie, la domestication de l’horreur et du ridicule les ont plongés dans un état d’abrutissement et d’hébétude psychique qui les situe en deçà du bien et du mal, dans une zone d’où seule la miséricorde d’un Dieu pourrait les tirer, parce qu’ils ne savent strictement pas où ils sont.

Mais alors, si ceci n’est qu’une petite fiction, qu’est-ce que la Grande ? Patience. Il n’y a aucun risque que le monde réel s’évanouisse, et nous en reparlerons peut-être une autre fois.