Courrier de l’au-delà (IV)

  

Lettre de Kierkegaard

à Conchita Wurst[1]


 

 

Monsieur, ou bien Madame,


« Pour moi
, dîtes-vous dans votre beau patois d’au-delà des nations, l’avenir idéal serait qu’on n’aurait plus à parler de la sexualité des uns et des autres, comme pour la couleur de la peau ». Etant grand amateur de silence, je partage la noblesse de cet idéal, mais une question me chiffonne. Je vous la pose : qui parle sans arrêt de la sexualité ou de la couleur de la peau? Qui nous rebat les oreilles avec ses génitoires, qui nous abasourdit avec des foutaises cutanées, inlassablement, dans le but d’obnubiler l’esprit et de l’empêcher d’accomplir sa tâche ?

Ce qui caractérise le monde, c’est qu’il donne une valeur infinie aux choses insignifiantes. Se travestir en femme et conserver une barbe d’homme ne fait pas de vous le monstre que certains veulent haïr ou le mutant que d’autres célèbrent. Les gens ambigus, ni chair ni poisson, qui flottent entre deux eaux, s’ignorent eux-mêmes et ne se reconnaissent plus qu’à l’habit. Vous en portez plusieurs à la fois. Il s’en faut de beaucoup qu’il y ait métamorphose ! On se grefferait une trompe à la place du nez, des ailes de chauve-souris dans le dos et des pinces de crabe au bout des bras, que ça n’y changerait rien. Confondre l’être avec son apparence est l’essence même du ridicule. Et le ridicule est humain.

Si vous saviez lire, vous auriez lu mes ouvrages, et par suite vous sauriez que fuir son moi ailleurs qu’en Dieu c’est se réfugier dans l’imaginaire en ratant sa destinée spirituelle.

Comme dit Goethe, si tu es une catin, sois-le convenablement. L’Éternité identifiera ce que nous sommes. Alors vous aurez à dire un oui qui soit un oui, un non qui soit un non. Faute de quoi les vers, qui ne sont pas bégueules, se régaleront de le faire à votre place.

Avec mes salutations sincères,

                                                               Søren Kierkegaard


[1]
Tout le monde connaît Conchita Wurst, de son vrai nom Thomas Neuwirth, chanteur et drag queen autrichien. Quant à Søren Kierkegaard, c’est un philosophe danois (1813-1855) que personne ne connaît.