Il devrait y avoir une certaine limite à notre sympathie envers les animaux, non parce que nous devons nous méfier de nos intentions, mais parce que nous ne pouvons jamais vérifier nos résultats. Il n’y a aucune raison de ne pas être gentil avec une mouche ; mais il est très difficile de savoir si on l’a été. Le monde est rempli d’effroyables cruautés et négligences que nous pourrions tous découvrir si nous le voulions. Si nous faisions travailler notre imagination sur le travailleur en sueur, le sauvage, l’esclave, et même, dans certains cas, sur les animaux supérieurs, nous pourrions obtenir une réponse. Nous pourrions découvrir, avec une finalité humaine sommaire, s’ils sont injustement traités ou non.
Les riches idéalistes d’aujourd’hui pourraient obtenir une réponse sensée à de telles questions. C’est pourquoi ils ne se les posent pas ; ils craignent d’obtenir une réponse. Mais le mystère des bêtes et des formes de vie les plus aveugles est un mystère insondable : nos riches idéalistes sont dans l’impossibilité de découvrir exactement s’ils ont fait peu ou beaucoup de mal à une baleine. Ils versent donc leurs larmes dans ce seau sans fond : parce qu’il est sans fond. Au moyen de projections imaginaires et pathétiques, par nature aussi inutiles qu’éternelles, ils abusent d’une énergie du cœur qui, si elle était dirigée contre des torts réels et flagrants, pourrait libérer des millions d’hommes des mâchoires d’une agonie artificielle.
The Illustrated London News, 10 février 1912.
(Traduction Erick Audouard)